Où sont-elles, les racines de cette croyance qu’on appelle la foi ? Où puisent-elles la vitalité qui permet à leur possesseur de soulever des montagnes, dit-on ? Où trouvent-elles le courage qui anima tant de croyants jusqu’au sacrifice suprême ? je n’en sais rien et me trouve dans la position de saint Augustin en train de se demander où se trouvent les racines du mal ! Sauf que, pour lui, le mal était censé être apparu dans un monde parfait ce qui posait problème tandis que, pour moi, la foi ne peut naître en chacun d’entre nous que dans un monde où Dieu est déjà pressenti pour le moins. L’idée de Dieu précède naturellement la foi, quelle que soit cette foi, quel que soit ce Dieu.
Lorsque l’enfant paraît, c’est un être vivant, un petit d’homme qui nous arrive avec, dans ses gènes, les caractéristiques essentielles et vitales lui permettant de respirer et de téter, c’est-à-dire aspirer par le nez et par la bouche, sans qu’on ait eu besoin de le lui apprendre. Il vient et sait faire cela, de même que dans le ventre de sa mère il suçait déjà son pouce par instinct. Si ce comportement héréditaire est inscrit dans le génome du vivant en général et de l’homme en particulier, la foi ne fait pas partie de ce patrimoine, il n’y a pas de gène de la foi. Ce qui corrobore bien, en ce qui concerne les religions judéo-chrétiennes, cette singularité qui veut que ce soit l’homme qui cherche Dieu puisque aucun lien prénatal ne relie la créature à son créateur. La religion est le fait de l’homme et non d’un Dieu.
Arrivant dans une famille religieuse, le nouveau-né sera baptisé et, si par malheur, celui-ci venait à mourir avant le baptême, selon le dogme l’enfant serait recueilli dans les limbes, séjour pour les personnes démunies du sacrement de reconnaissance, puisque considérées à juste titre comme non reliées à Dieu.
Le nouveau baptisé entre donc ainsi dans la communauté religieuse de sa naissance en toute innocence et en toute ignorance de la croyance de ses parents. Ce n’est que par la suite qu’il fera connaissance avec le concept Dieu de sa famille d’origine et que, par obéissance il découvrira et pratiquera les rites nécessaires à sa formation spirituelle. C’est pendant ce temps que la foi se formera et se fortifiera. Selon l’individu et du triptyque classique : hérédité-apprentissage-environnement, cette foi se manifestera dans un temps plus ou moins court ou long ; elle pourra même être rejetée purement et simplement.
Mais alors, et là se pose une question essentielle : à l’égard de ce Dieu, révéré par les uns, rejeté par les autres – ou toléré avec indifférence, quelle importance cela a-t-il ? Personnellement je n’en vois aucune puisque si ce Dieu existe réellement, je ne suis jamais que ce qu’il a voulu que je sois ! Et contrairement à Pascal, le pari lui-même n’a pas sa raison d’être.
Toutefois, c’est ainsi que le non-croyant va se trouver démuni de cette force évoquée plus haut, apte à soulever des montagnes et c’est bien regrettable pour lui. Alors ? Que faire ?
Alors, je vais vous raconter une histoire, une histoire qui fait partie de mon histoire et que j’ai résumée dans un livre qui date de 1993 mais n’a jamais vu le jour. Il s’appelle JAO et relate ma quête constante de Dieu depuis mon plus jeune âge jusqu’aux alentours de ma vingtième année. Je vous en fais un copier/coller sans aucun scrupule pour nous faire gagner du temps et m’éviter toute autre explication.
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(…) Tout en persistant à nier farouchement l'idée même d'un Dieu tel qu'il nous était présenté dans les livres sacrés, et tel que l'Eglise évoluée nous le présentait, je n'admettais qu'une seule évidence, c'est que, venu de la nature je retournerais inéluctablement à la nature mais qu'entre les deux évènements, mon premier et mon dernier souffle, j'aurais dépensé une somme d'énergie qui, négligeable à l'échelle de l'univers, n'en représentait pas moins quelque chose d'important à ma propre échelle. Première embûche: quel était l'étalon à prendre en considération, l'individu ou l'univers? Après réflexion, je pensai que seul l'individu mesurable, présent et visible en son entier, était la seule base sur laquelle on pouvait fonder un raisonnement incontestable. Raisonnement de poussière, bien sûr, mais destiné à d'autres poussières, et surtout, raisonnement concret duquel tout Dieu hypothétique était absent .
Je m'étais plu à penser que mon voisin, poussière comme moi, avait besoin de Dieu pour vivre, et qu'il se trouvait tributaire de son Dieu comme l'alcoolique de l'alcool. Quant à moi, mesurant ma vie par rapport à la sienne, notamment quant à ses effets au sein de la société, force m'était de constater que nous devions être fondamentalement différents. L'énergie que je développais (dans ma lutte contre Dieu, en particulier), était peut-être une des formes internes d'une espèce de déïté personnelle, ce qui faisait que je n'avais pas besoin de chercher à l'extérieur se qui se trouvait naturellement à l'intérieur ! Enfin ceci avait l'avantage d'expliquer mon acharnement contre un...rival, en quelque sorte. Ah ! la conclusion était énorme qui consistait à dire "Je" égale "Dieu", et pourtant c'est à cette conclusion que j'étais parvenu aux environs de ma majorité à l'ancienne mode (21 ans). Vous parlez d'une promotion !
Alors, pour moi tout seul, j'ai créé le "jéïsme" et, sous le titre 'l'affaire Gaumont', je me suis amusé à faire vivre parmi nous un jéïste convaincu. Une vraie catastrophe ! Ce n'était, ni plus ni moins, que la fin de la société telle que nous la connaissons avec ses défauts mais aussi, tout de même, ses qualités. Mon jéïste, Gaumont, avait commencé par tenir le raisonnement suivant: "Voyons, physiquement le végétal est différent du minéral et cette différence justifie que l’un exploite l’autre pour vivre. Bien. Biologiquement l'animal est différent du végétal et cette différence justifie que l’un exploite l’autre pour vivre. Oui. Intellectuellement l'homme est différent de l'animal et cette différence justifie qu’il exploite la faune pour vivre. Il exploite même, sans retenue, les autres classes subalternes végétale et minérale. Parfait. Spirituellement, moi jéïste, donc par définition différent de l'homme, je n'ai aucun scrupule à avoir à son égard puisque je le domine. Je respecterai éventuellement ses usages en les faisant miens, c'est-à-dire que je ne tuerai les gens qu'à partir de l'ouverture de la chasse, par exemple, et ne les dépouillerai qu'à la date prévue pour la tonte des moutons.
Que peut un tribunal contre moi? Rien ! La loi des hommes est faite pour les hommes, et puis a-t-on déjà vu un chasseur jugé par un tribunal de lièvres? Non ! Alors? D'autre part, tellement conscient de sa supériorité sur l'animal, l'homme ne saurait admettre de comparaître devant un tribunal de fauves qui ne lui laisserait aucune chance. Eh bien, pour les mêmes raisons, moi, Gaumont, je me déclare libre de tuer et de voler en toute quiétude, la conscience en repos, en paix avec moi-même. Aura-t-on l'audace de me demander justification de ma supériorité? Ce serait un comble ! Le tueur de La Villette (aujourd'hui Rungis) se justifie-t-il auprès du boeuf?"
Voilà le travail ! Il faut avoir vingt ans pour écrire des choses pareilles. Quarante ans plus tard, n'ayant plus rien à craindre puisqu'il y a prescription, je plaide coupable. Mais avouez qu'il est heureux que mes piètres talents d'écrivain m'aient interdit la publication d'une telle 'Affaire' car, à l'heure présente, il y aurait des jéïstes convaincus qui pilleraient, violeraient et tueraient le plus honnêtement du monde, et pas seulement au coin des bois !
L'Affaire Gaumont est restée fort sagement, sous forme de synopsis, quelque part dans le fond de mon grenier. Mais le jéïsme, dernier avatar d'un "fantôme crépusculaire"(1) me fit un curieux pied de nez. A la fin de mon manuscrit, une question que je ne voulais pas me poser, mais que j'ai écrite néanmoins, est "tombée" sous ma plume: "Cette énergie que "Je" libère, que mon voisin -autre "Je"- libère, attirée par d'autres énergies ou attirant d'autres énergies de même nature ou de nature opposée, cette énergie, ces énergies confondues, si c'était cela Dieu?".
Ainsi ma grande oeuvre de destruction de Dieu se terminait-elle par un embryon de création. Un comble ! Et ce protozoaire avait la forme d'un point d'interrogation, un de plus:
"...et si c'était cela Dieu?"
Je venais d’inventer la psychosphère !
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Ah ! la puissance de la foi ! Et qu’importe son support, que ce soit le Dieu des premiers âges, palliatif nécessaire pour répondre aux grandes interrogations humaines, que ce soit l’homme lui-même enfin élevé au-dessus des leurres avilissants, sans qu’il ait toutefois la possibilité d’atteindre les sommets psychédéliques où les avaient portés les divagations de ma jeunesse ! La foi avait libéré sa véritable nature de 'décharge de la conscience humaine', à partir de quoi tout est possible : mourir ou tuer en toute quiétude, vivre à l'abri de tout souci moral dans la mesure où l'homme est en harmonie totale avec elle, sa foi...
Je dois dire que cette affaire Gaumont m’a poursuivi une bonne partie de ma vie. Et si je l’ai fait revivre ici pour vous, c’est parce que le sujet porte sur la puissance de la foi et les dangers qu’elle nous fait courir ; la foi qui soulève des montagne peut être une arme dangereuse.
En se soumettant au concept Dieu, dès son plus jeune âge le croyant dévalue sa capacité d’homme qu’il mésestime. Il s’en remet à Dieu – et cela peut aller jusqu’au ‘mektoub’ des Arabes, à la notion de Destin, le fatum contre lequel il n’y a rien à faire. Si c’est écrit, ma volonté n’y pourra rien modifier, on ne saurait changer ce que Dieu a voulu qui soit. A la limite on peut tout juste se valoriser en décidant, devant notre impuissance, que nous sommes un instrument de Dieu, mais dans ces conditions mentales comment voulez-vous engager une action commune avec un croyant de cette espèce ? A la première embûche, quand vous relèverez vos manches, votre coéquipier ira se coucher avec un sourire béat ! Aucune collaboration n’est possible.
Ainsi, avec le temps, sans tomber dans ces comportements extrêmes, le croyant n’écoutera plus sa raison et refusera même d’envisager un seul instant que son Dieu puisse être remis en cause. Il ne le faut pas ! Il ne le veut pas ! Il ne le peut pas, car il se trouve asservi à son concept comme l’esclave à ses chaînes qu’il a fini par aimer. Les cas n’étaient pas rares où, le Noir affranchi, après avoir humé le grand air de la liberté, revenait chez ses anciens maîtres s’enchaîner de son plein gré. Il en a fallu du temps pour qu’il s’affranchisse dans sa tête !
Eh bien, nous en sommes là avec les croyants. Je pense qu’il est de notre devoir de sociétaire de l’espèce d’éclairer malgré eux ces drogués de la foi avec la même vigueur que la société lutte contre les consommateurs de drogues. Car il s’agit bien ici de la sauvegarde de l’espèce qui, après avoir failli se libérer avec le triomphe de la laïcité, replonge allègrement dans les délices soporifiques des plaisirs spirituels ! Il n’est qu’à voir le développement des sectes religieuses dans le monde. L’homme a encore besoin de croire en autre chose, parce qu’il ne croit plus suffisamment en lui. Abusé et trompé par les hommes politiques ; stupéfait jusqu’à l’idiotie par le monde du spectacle, les peoples ; conditionné jusqu’à l’abrutissement par le monde du commerce, de la finance, de la publicité ; sans plus aucun repère, promené, ballotté, par les médias de toute nature : presse, radio, télévision, l’homme a besoin d’autre chose, d’autre chose qui sera fatalement beau sur le fond noir de tout ce qu’on lui propose. Alors, tête baissée, il fonce dans l’obscurantisme le plus abêtissant qui a fait les beaux jours de notre Moyen-Âge. Pour s’affranchir de l’asservissement aux beautés factices du monde, il plonge et s’enchaîne à l’asservissement au fétichisme. De Charybde en Scylla il est en train de brader le patrimoine de son espèce, de notre espèce. Il se dévalue lui-même, il s’auto-exécute !
Or, il n’en a pas le droit parce qu’il n’est pas tout seul !
Car enfin, qu’est-ce que la foi ? Le catéchisme de l’Eglise catholique rédigé sous la haute autorité du pape Jean-Paul II, la définit ainsi, dans son article 150 : « La foi est d’abord une adhésion personnelle de l’homme à Dieu ; elle est en même temps, et inséparablement, l’assentiment libre à toute vérité que Dieu a révélée. » L’adhésion personnelle, nous venons de tenter de faire le tour de sa nébulosité, quant à la vérité révélée, une seule question : « à quelle vérité révélée faut-il se fier, sachant qu’il existe une multitude de versions différentes et pas seulement sur des points de détails, mais également sur un sujet aussi capital que celui de la résurrection du Christ ! » Il y a contradiction profonde au cœur d’un livre aussi important que la Bible de Jérusalem, relativement à cette résurrection dont saint Paul a dit : « Si Christ n’a pas ressuscité, notre foi est vaine » !
Alors, c’est Jean-Paul de notre temps contre saint Paul d’un autre temps ? Et notre foi…à quoi va-t-on en voir flotter les lambeaux ?
Echoisy, le 10 avril 2008
Claude ANDRE
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(1) Référence à une œuvre de jeunesse, également inédite « Le crépuscule des fantômes » (autrement dit : La mort des dieux).
(2) Nous examinerons les contours de cette question lors d’une prochaine tribune.